dimanche 22 février 2009

JERUSALEM, L'EMANATION DU GEANT ALBION

Jérusalem représente la Mère Primordiale, l'aspect féminin du Dieu Cosmique.

Dans la philosophie indienne, le terme "émanation" renvoie à la notion de pouvoir féminin appelé "Shakti.
Blake représente parfois Jérusalem par une énergie spirituelle, la Kundalini, logée dans l'os du sacrum, elle-même reflet de l'Energie Cosmique Féminine, l'Adi Shakti.

Albion représente le côté masculin de Dieu le Père, Shri Shiva dans la culture indienne. Mais il personnifie également le peuple anglais, que Blake appelle les fils et les filles d’Albion.

Le poème Jérusalem raconte la chute suivie de l’éveil du peuple anglais, apparaissant toujours sous sous les traits d’Albion, en parallèle avec l’éveil du pouvoir féminin de Jérusalem, qui est un pouvoir maternel de compassion et d’amour.

S’y entremêlent les visions et révélations de Blake au sujet d'un mouvement spirituel à venir.

Avec ce long poème, Blake nous dévoile la construction d’une nouvelle Jérusalem dans la ville de Londres, coeur spirituel des terres d’Albion.

samedi 21 février 2009

PROLOGUE









(pl 3) Après m'être assoupi d’un sommeil de trois ans sur les rives de l’Océan, je déploie à nouveau mes Géantes formes pour le public. Mes Géants et mes Fées ont reçu précédemment la plus haute récompense possible : l’amour et l’amitié de ceux avec lesquels être connecté est une bénédiction. Je ne puis donc douter que ce Travail, plus considérable et plus vaste, sera reçu avec autant de bienveillance.
A propos du ton enthousiaste de ce poème, l’auteur espère que le Lecteur ne le percevra pas comme une marque de présomption ou d'arrogance, dès qu’il lui sera rappelé que les Anciens, totalement absorbés par leurs dieux, manifestaient leur amour avec autant d'enthousiasme que moi, lorsque j’exprime l'amour de mon Sauveur et Seigneur. J’espère aussi que le Lecteur sera avec moi, entièrement uni à notre Seigneur Jésus, Dieu et Seigneur de l’Amour, que les Anciens ont vu naître/apparaître , avec tremblements et stupéfaction.



L’Esprit de Jésus réside dans le pardon continuel des Péchés: celui qui attend d’être vertueux avant d’entrer dans le royaume du Sauveur, le Corps Divin, n’y entrera jamais. Je suis peut-être le plus grand pécheur des hommes; je ne prétends pas à la sainteté. Pourtant je prétends aimer, voir, m’entretenir quotidiennement, en face à face, et surtout être attiré par l’Amis des Pécheurs. En conséquence, cher lecteur, pardonne ce que tu n’approuves pas, et aime moi pour cette énergique manifestation de mon talent.

CADENCE DU POEME



Sur la cadence avec laquelle le poème suivant est écrit:

Nous qui demeurons sur Terre, nous ne pouvons rien faire par nous même; tout est dirigé par des Esprits, comme la Digestion et le Sommeil.
Quand ce Poème me fut dicté, je pensais tout d’abord qu’une Cadence Monotone dérivée de l’asservissement modernes de la rime comme celle utilisée par Milton, Shakespeare et tous les écrivains du vers sans rime Anglais, était une chose nécessaire et indispensable à toute Versification. Mais je trouvais très vite que dans la bouche d’un vrai Orateur, cela n’était pas seulement maladroit, mais que c’était aussi une servitude tout aussi importante que la rime elle-même. J’ai donc produit une variété de cadence et de nombre de pieds dans chaque ligne. Chaque mot et chaque lettre a été étudié et mis au bon endroit: les nombres terribles sont réservés pour les parties terribles, les nombres doux et gentils pour les parties douces et gentilles, et les nombres prosaïques pour les parties de moindre importance. La poésie a Enchaîné et continue d’Enchaîner la race humaine. Les Nations sont Détruites ou Fleurissent selon la proportion avec laquelle la Poésie, la Peinture et la Musique sont Détruits ou Fleurissent. L’état Premier de l’Homme était Art, Sagesse et Science.

Lecteur, amoureux des livres, amoureux du paradis
Et de ce Dieu à qui tous les livres sont remis,
Qui, dans la terrible grotte du mont Sinaï
Donna à l’Homme l’art étonnant de l’écriture.
Le voilà qui parle encore à coup de tonnerre et de feu -
Tonnerre de pensées et flammes d’un ardent désir.
Jusqu'aux profondeurs de l’Enfer, j’entends sa voix
J’imprime donc, et mes caractères d’imprimerie ne seront pas vain;
Le Ciel, la Terre et l’Enfer, à l’avenir vivront en harmonie.

LA CONSTRUCTION DE JERUSALEM


(pl 77) On nous dit de nous abstenir des désirs charnels afin de ne pas perdre de temps pour le Travail du Seigneur. Chaque moment perdu est un moment qui ne peut être racheté: chaque plaisir uni au devoir de notre position est une folie irrachetable qui est plantée comme la graine d’une mauvaise herbe au milieu du champ de notre vie. Toutes les tortures du repentir sont des luttes d’enchevêtrement avec des racines incohérentes, des tortures faites de reproches adressés à soi-même dès qu'on abandonne à l’Ennemi la Divine Récolte. Je ne connais pas d’autre Chrétienté ni d’autre Evangile que la liberté d’exercer les Arts Divins de l’Imagination, liberté de corps et d'esprit. Cette Imagination qui est le Monde véritable et éternel dans lequel nous vivrons avec nos Corps Eternels ou Imaginatifs, quand ces Corps Végétatif et Mortels ne seront plus, alors que cet Univers Végétal n’en est qu’une pâle ombre.

Les Apôtres non plus ne connaissaient pas d’autres Evangiles. Quels étaient leurs dons spirituels ? Qu’est-ce que l’Esprit Divin ? Le Saint-Esprit n’est-il pas une Fontaine Intellectuelle ? Quelle est la Récolte de l’évangile et son Labeur ? Quel est ce Talent qu’il ne faut point cacher sous peine d’être maudit ? Quels sont les Trésors du Paradis que nous devons accumuler pour nous même - sont-ils autre chose que les Etudes et les Célébrations du domaine de l’esprit ? Que sont tous les Dons des Evangiles s’ils ne sont pas des Dons Intellectuels ? Dieu n’est-il point un Esprit qui doit être vénéré en Esprit et en Vérité, et les dons de l’Esprit ne sont-ils pas Tout pour l’homme ? Ô vous, Religieux, découragez quiconque parmi vous ayant la prétention de mépriser l’Art et la connaissance ! J’en appelle à vous au Nom de Jésus ! De quoi est faite la Vie de l’Homme si ce n’est d’Art et de Connaissance ? De Nourriture et de Boisson ? Le Corps est-il plus qu’un Vêtement ? Qu’est-ce que la Mortalité, sinon les choses rattachées à ce Corps Mortel ? Qu’est-ce que l’Immortalité sinon le caractère des choses rattachées à l’Esprit, qui vit Eternellement ? Qu’est-ce que la Joie des Cieux sinon une évolution sur le plan des choses de l’Esprit ? Que sont les Douleurs de l’Enfer sinon l’Ignorance, le Désir Charnel, la Vanité et la destruction des choses de l’Esprit ?

Répondez à ces questions et expulsez ceux d’entre vous qui ont la prétention de mépriser l’Art et la Connaissance, qui seuls sont les travaux de l’Evangile: cela n’est-il pas clair et évident à la pensée ? Peut-on envisager, sans être pris du désir irrésistible d'annoncer de tout cœur, qu'œuvrer dans la Connaissance c’est Construire Jérusalem, et que Mépriser le Savoir c’est Mépriser Jérusalem et ceux qui la Construisent ? Souvenez-vous: Celui qui méprise et ridiculise le Don Intellectuel de quelqu’un en l’appelant fierté, égoïsme ou péché, méprise Jésus, source de tous Dons Intellectuels. Ceux-ci apparaissent toujours à l’Hypocrite amoureux de l’ignorance comme dés péchés. Mais ce qui est un Péché aux yeux d’un Homme cruel ne l’est pas aux yeux de notre Dieu bienveillant. Que Chaque Chrétien selon ses possibilités, s'engage publiquement et ouvertement dans une démarche Spirituelle afin de Construire Jérusalem.




(pl 52 . 17) L’homme doit avoir et aura une religion. S’il n’a pas la religion de Jésus, il aura la religion de Satan, et érigera la synagogue de Satan, appelant ‘Dieu’ le prince de ce monde; détruisant tous ceux qui ne vénèrent pas Satan sous le nom de Dieu. Quelqu’un dira-t-il : « Où sont ceux qui vénèrent Satan sous le nom de Dieu ? » Où sont-ils ? Ecoutez ! Toute religion qui prêche la vengeance du péché est la religion de l’ennemi et du vengeur, et pas celle du pardon des péchés; et leur Dieu est Satan, appelé du Nom Divin. Votre religion, O Déistes, le Déisme, est la vénération du dieu de ce monde par le biais de ce que vous appelez Religion Naturelle et Philosophie Naturelle et de la moralité naturelle ou du pharisaïsme, c’est à dire, des vertus égoïstes du cœur naturel.

Ceux qui martyrisent les autres et causent la guerre sont des déistes, mais ne peuvent jamais pardonner les péchés. La gloire de la chrétienté est de conquérir par le pardon. Toute destruction dans l’Europe chrétienne vient du Déisme, c’est à dire de la Religion Naturelle. Mais la religion de Jésus, le pardon des péchés, ne peut jamais être la cause de la moindre guerre ou du moindre martyre.

ALBION REJETTE L'APPEL DE LA DIVINE HUMANITE


Le thème annoncé d’Albion rejette l’appel de la Divine Humanité


L’invitation au développement spirituel, la disparition de Jérusalem, la proximité de l’homme et de Dieu, la léthargie de l’homme face aux réalités spirituelles, tout ces thèmes formant la trame de ‘Jérusalem’ sont ici annoncés dans ce dialogue entre le Christ et Albion. Blake, témoin de ce dialogue, le relate en y incorporant le paysage d’une Angleterre en pleine révolution industrielle.

Du Sommeil d’Ulro*! et du passage à travers
La Mort Eternelle! Et de l’éveil à la Vie Eternelle.
Nuit après nuit, ces thèmes m’appellent dans mon sommeil, et m’éveillent chaque matin
Au lever du soleil; alors je vois le Sauveur penché sur moi,
Répandant ses rayons d’amours, et dictant les mots de cette douce chanson:

« Réveille-toi, Réveille-toi, Ô dormeur du pays des ombres, éveille-toi, grandis!
Je suis en toi et tu es en moi, dans l’amour divin réciproque :
Fibres d’amour unissant l’homme à l’homme, à travers le plaisant pays d’Albion.
Sur toute la sombre vallée Atlantique, depuis les collines de Surrey,
Une eau noire s’accumule. Reviens, Albion, reviens!
Tes frères t’appellent, ainsi que tes pères et tes fils,
Tes nourrices et tes mères, tes sœurs et tes filles
Pleurent ton âme malade,
et la Vision Divine s’est obscurcie.
Ton émanation* ne joue plus comme jadis devant ton visage
Rayonnant au dehors avec ses filles, dans le giron du Divin -
Où as-tu caché ton émanation, cette adorable Jérusalem,
De la vision et de la réalisation du Tout Puissant ?
Je ne suis pas un Dieu lointain, je suis un frère et un ami;
En ton sein je réside, et tu résides en moi.
Dès lors, nous sommes Un, pardonnant toute méchanceté, sans rien attendre en retour. »

Mais Albion, en Homme perturbé s’éloigne et se détourne au loin vers les sombres vallées :
« Fantôme d'un cerveau surchauffé ! Illusion d’immortalité !
Cherchant à garder mon âme victime de ton Amour, qui lie
L’homme ennemi de l’homme dans des amitiés mensongères.
Jérusalem n’est point! Ses filles sont douteuses.
L’homme ne peut vivre que par la démonstration, non par la foi.
Mes montagnes sont miennes, et je les garderai pour moi !
J’y construirai mes lois de Vertus Morales.
L’Humanité ne doit plus être mais seulement la guerre, la tyrannie et la victoire. »

Ainsi parla Albion dans ses peurs jalouses, cachant son émanation,
Sous le Thames et le Medway, rivières de Beulah, dissimulant
Sa jalousie devant le trône divin, obscur, glacial.

Les rives du Thames sont couvertes de nuées, les anciens porches d’Albion sont
Assombris; ils sont entraînés dans un espace sans limite, éparpillé sur
Le Vide dans un désespoir incohérent.

Tremblant, je reste assis nuit et jour; mes amis sont étonnés à ma vue.
Pourtant, ils me pardonnent mes errances. Je ne me repose point de ma grande tâche -
Ouvrir les Mondes Eternels de pensée, ouvrir les Yeux immortels
De l’Homme vers l’intérieur dans les Mondes de Pensée : dans l’Eternité
Grandissant au sein de Dieu, l’Imagination Humaine.
Ô Sauveur, déverse sur moi ton Esprit de douceur et d’amour;
Anéantit mon ego ! Puisses-tu être toute ma vie !
Guide ma main qui tremble excessivement sous le Roc des Ages,
Pendant que j’écris sur la construction de Golgonooza*, et sur les terreurs d’Enthuton*;
Et des terribles fils* et filles d’Albion, et de leur générations.
Ils luttent pour détruire les fourneaux*, pour ruiner Golgonooza,
Et pour dévorer l’humanité dormante d’Albion par faim et par rage.
Les Engrenages tournent lourdement sur les fourneaux*,
Poussant Jérusalem dans l’angoisse de l’amour maternel,
A l’est une colonne de fumée, avec Vala sur les montagnes,
Hurlant de douleur, jaillissant des bras des filles de Beulah*,
Depuis les fourneaux de Los par dessus la tête de Los,
Un nuage de fumée se tordant au loin dans la non-entité, rejaillissant
Jusqu’à ce que la fumée atteigne le lointain, ouverte parmi les Engrenages
Qui tourne lourdement sur le puissant Vide parmi les fourneaux.

De quelle utilité sont les amours et les larmes des adorables filles de Beulah*?
Elles maintiennent la forme immortelle avec de gentils interdits et de tendres larmes;
Mais à l’intérieur, tout est ouvert aux profondeurs d’Entuthon Benython*,
Une nuit sombre et inconnue, indéfinie, incommensurable, sans fin.
La philosophie abstraite est en guerre contre l’Imagination
(Qui est le Corps Divin du seigneur Jésus, bénis pour toujours).
Et là Jérusalem erre avec Vala sur les montagnes,
Attirée par les révolutions des Engrenages, le nuage de fumée
Immense. Et Jérusalem et Vala dans le nuage, pleurant
Errant au loin à l’intérieur du Vide* chaotique, se lamentant avec son ombre
Parmi les filles d’Albion, parmi les Engrenages;
Se lamentant pour ses enfants, pour les fils et les filles d’Albion.

LE SPECTRE DE LOS


Dans la cosmogonie de Blake, le spectre représente l'ego. Il est une manifestation du pouvoir Rationel. Par ses ruses, il nous empêche d'entendre l’appel profond de Jérusalem. Il reproche à Los son amitié spirituelle avec Albion. Los déjoue ses pièges et l’oblige à être son instrument pour sa grande tâche: préserver la lumière de l’éternité au sein de cet âge obscur, sauver Albion. Los se révèle en tant que gardien des enfers, comme Saint Michel.

Los entendit les lamentations de Jérusalem depuis les lointaines profondeurs! Ses larmes coulent
Incessamment devant les Fourneaux*, et ses Emanations* se séparent de lui dans la douleur,
Vers l’Est, en direction des roues étoilées. Mais vers l’Ouest, une horreur noire :
Son spectre[1]*, conduit par les Engrenages des fils d’Albion, noir et
Opaque, séparé de son dos; il peine et gémit !
Car, comme ses Emanations divisaient, son spectre aussi divisait,
Dans la terreur de ces Engrenages. Et le spectre se tint devant Los,
Criant de douleur, une ombre noircissante, noircissante, noir et opaque, Maudissant le terrible Los, le maudissant amèrement pour son amitié
Avec Albion, suggérant des pensées meurtrières contre Albion.

Los rageait et frappait la terre* dans sa puissante colère!
Il se tenait, frappant la terre*! Puis de rage, il jeta son marteau:
Alors il s’assit et pleura, terrifié! Puis il s’éleva
Et chanta sa chanson, avec ses tenailles et son marteau.
Mais le Spectre continuait de diviser, et sa douleur continuait de grandir!
Dans la douleur le Spectre divisait, dans une douleur de faim et de soif,
Pour dévorer la perfection humaine de Los, mais quand il vit que Los
Etait vivant, haletant comme un loup effrayé et hurlant,
Il se tint devant l’Immortel, dans la solitude et l’obscurité
Sur le sombre Thames, à travers toute l’île en direction de l’Ouest,
Une horrible Ombre de Mort parmi les fourneaux, sous
La colonne de fumée. Et il chercha par d’autres moyens
A piéger Los: par des larmes, par des arguments de science, et par des terreurs,
Terreurs en chaque Nerfs, par des spasmes et par des douleurs prolongées;
Pendant que Los répondait sans peur à l’opaque et sombre Démon.
(…)

Et Los parla ainsi: « Ô spectre
Je connais tes apparences trompeuses et tes revanches, et à moins que tu ne renonces
Je créerais assurément un éternel Enfer pour toi. Ecoute!
Sois attentif ! Obéis! C`est assez! Les Fourneaux sont près pour te recevoir.
Je te briserai en morceau et te ferai fondre dans les fourneaux de la mort.
Je te coulerai dans des formes d’horreur et de tourment si tu ne
Renonces pas à ta propre volonté, et n’obéis pas à mon sévère commandement.
Je suis séparé de mes enfants; mon Emanation divise,
Et toi mon Spectre, tu es tourné contre moi. Mais fais attention:
Je t’obligerai à m’assister dans mon terrible travail. Battre
Ces Ego hypocrites sur les enclumes de la Mort Apre.
Je suis inspiré: je n’agis pas pour moi-même mais par amour pour Albion*. »

Pendant que Los parlait, le terrible Spectre tomba devant lui, frémissant,
Observant le moment, avec des yeux rougeoyants, de sauter sur sa proie.
Los ouvrit les Fourneaux. Le Spectre vit, à Babel et Shinar[Associati1] ,
A travers toute l’Europe et l’Asie; il vit les tortures des Victimes.
Il voyait maintenant de l’extérieur ce qu’il voyait et sentait auparavant de l’intérieur.
Il vit que Los était l’unique et incontrôlé Maître des Fourneaux.

Gémissant, il s’agenouilla aux pieds chaussés de fer de Los, sur la pierre de Londres,
Affamé et assoiffé de la vie de Los, prétendant pourtant à l’obéissance,
Pendant que Los poursuivait ses paroles menaçantes, hautes et ardentes:
« Tu es mon Orgueil et mon Pharisaïsme; je t’ai reconnu.
Tu es révélé devant moi dans toute ton ampleur et dans tout ton pouvoir;
Tes prétentions "Incirconcises" à la Pureté doivent être éradiquées,
Ta sainte colère et ta profonde tromperie ne peuvent rien contre moi,
Car je suis l’un des Vivants. N’ose point te moquer de ma furie inspirée. Tant que tu ne t’abstiendras pas de rôder en quête d’une proie, je créerai un éternel enfer pour toi.
(...)
J’ai vu les membres formés par l’exercice, et la beauté de
L’Eternité jugés difformes, et la grâce regardée comme un arbre mort.
J’ai vu la maladie former un Corps de Mort autour de l’Agneau
De Dieu, pour détruire Jérusalem, et pour dévorer le corps d’Albion;
J’ai vu l’embarras s’armer de fer, la folie d’un casque d’or,
La faiblesse d’épine et de griffe, l’ignorance d’un bec vorace.
J`ai vue toute joie d’Emanation interdite comme un Crime,
Et les Emanations enterrées vivantes dans la terre avec le faste de la religion;
J`ai vu l’inspiration déniée, le Génie empêché par des lois punitives.
Terrifié, j`ai vu; J’ai pris les soupirs et les larmes, et les âpres gémissements;
Je les ai porté dans mes Fourneaux pour former l’épée spirituelle
Qui ouvre au grand jour le coeur caché; j’ai traîné au devant les angoisses
De la tristesse rougeoyante; je l’ai accompli sur mon enclume résolue.
Haut et fort retentissent les clameurs de mes fourneaux et l’éclat de mon marteau.
Je travaille jour et nuit, je contemple les tendres états d’âmes
Condensés sous mon marteau en des formes de cruauté,
Mais pourtant je travail dans l’espoir, bien que mes larmes ne cessent de couler,
Pour que celui qui ne défend pas la Vérité soit obligé de défendre
Un Mensonge - qu’il soit attrapé et pris au piège,
Que l’Enthousiasme et la Vie ne cesse pas. Lève-toi, Spectre, lève-toi ! »

Ainsi se combattaient-ils parmi les fourneaux avec moult pleurs et gémissements.
Gémissant le Spectre active les soufflets, obéissant aux regards sévères de Los. (…)
Et Los pousse le Spectre au déplaisant aspect
Dans les Fourneaux et dans les vallées des mortelles Enclumes,
Et dans les montagnes des Enclumes et des puissants Marteaux,
Jusqu`à qu`il amène les fils et les filles de Jérusalem à être
Les fils et les filles de Los, afin qu`il puisse les protéger des
Redoutables spectres d`Albion. Furieux, puissants, formidables, crépitant, les soufflets et les marteaux s’activent sous la main de Los.
Et voici la manière d’agir des Fils d’Albion* dans leur pouvoir:
Ils prennent les Deux Contraires qui sont appelés Qualités, avec lesquels
Chaque Substance[Associati2] est habillée; ils les appellent Bien et Mal.
Ils en font une Abstraction, qui est une Négation
Pas seulement de la Substance à partir de laquelle ils sont dérivés,
Meurtrier de son propre Corps, mais aussi meurtrier
De tout Membre Divin. C’est le Pouvoir Raisonnant,
Un pouvoir Abstrait d’opposition qui Nie toute chose.
C’est le Spectre de l’homme - le Saint Pouvoir Rationnel;
Et sa Sainteté enferme l’Abomination de la Désolation.

Ainsi Los demeure à Londres, construisant Golgonooza*
Obligeant son Spectre à travailler prodigieusement; tremblant de peur,
Le Spectre pleure mais Los reste insensible aux pleurs et aux menaces.

« Je dois Créer un Système, ou être l`esclave de celui d`un autre Homme ;
Je ne vais pas Raisonner et Comparer, mon rôle est de Créer. »
Voici Los en fureur et en force, dans l’indignation et colère brûlante
Tremblant le spectre hurle; ses cris effraient la nuit:
Il frappe autour de l’Enclume, battant des coups de sévère désespoir;
Il maudit les Cieux et la Terre, le Jour et la Nuit et le Soleil et la Lune;
Il maudit Forêts, Printemps et Rivières, Plages et Déserts,
Citées et Nations, Familles et Peuples, Langues et Lois,
Conduit au désespoir par les terreurs et les peurs menaçantes de Los.

Los crie: « Obéis à ma voix et ne dévie jamais de ma volonté.
Si tu refuses, tes tourments actuels te sembleront être de douces brises
Au regard de ce que tu pourrais endurer si tu n’obéis pas à ma noble volonté. »

Le spectre répondit: « Ô que ne puis-je cesser d’être! Désespoir - Je suis Désespoir,
Créé pour être le grand exemple d’horreur et d’agonie, aussi ma
Prière est-elle vaine. J’ai appelé la compassion, la compassion s’est moquée,
La miséricorde et la pitié ont jeté sur moi une pierre tombale, et m’y ont lié pour toujours
Avec des liens de plomb et de fer. La vie vit du fait que je me
Consume, et le Tout-puissant a fait de moi son Contraire,
Pour être absolument mauvais, totalement opposé et pour toujours mort; connaissant
Et voyant la vie, sans pour autant vivre. Comment puis-je alors contempler
Sans trembler? Comment puis-je être contemplé sans être abhorré? »

Ainsi parla le spectre frissonnant, et des larmes noires coulèrent le long de son sombre visage,
Que Los essuya, mais du réconfort, personne n’en pouvait donner, ni même un rayon d’espoir.
Jusqu’alors, il n’avait point cessé de labourer aux rugissements de ses Fourneaux,
Construisant Golgonooza en lutant avec du fer et du cuivre,
Construisant à gros efforts Golgonooza avec du fer et du cuivre,
Jusqu’à ce que ses Fils et ses Filles soient sortis des Fourneaux
Devant le sublime Travail; car Los, par ses puissantes chaînes, obligea
Le Spectre invisible à travailler prodigieusement, avec une immense force,
Suivant les pulsations du temps et les étendues de l’espace,
Luttant avec les Systèmes pour délivrer les individus de ces Systèmes,
Pour qu’à chaque fois qu'un Spectre commence à dévorer les Morts
Il puisse ressentir une douleur pareille à celle de l'homme rongeant ses propres nerfs.
Alors Erin* sortit des fourneaux, et toutes les filles de Beulah
Sortirent des fourneaux, par le puissant pouvoir de Los, pour le bénéfice de
Jérusalem, marchant de haut en bas parmi les étendues d’Erin,
Et les fils et les filles de Los vinrent au dehors dans une adorable perfection.
Et étendues d’Erin couvraient depuis les hauteurs jusqu’aux profondeurs étoilées.

[1] Le Spectre peut être comparé au personnage de Méphisto chez Goethe (il est « l’esprit qui toujours nie »)

[Associati1]Régions d’ou viennent les Assyriens (du Sanskrit ‘assura’, démon) et Babyloniens, qui causèrent tant de destruction. La ligne suivante montre que leur esprit gouverne maintenant le monde moderne.

[Associati2] Allusion à la philosophie rationaliste qui pose l’existence d’une substance comme support des qualités sensibles (telles que ‘rouge’, ‘froid’...). Blake pense avec Berkeley que cette substance n’est qu’une chimère née de l’abstraction.

GOLGONOOZA, CITE DE L'IMAGINATION


Golgonooza représente la ville de Londres éveillée à la spiritualité par les pouvoirs d’imagination de Los, pour protéger ses habitants du chaos d’Ulro et préserver leur vision spirituelle. La description de la cité des arts met en évidence l’aspect quadruple de la vie humaine, ouvrant sur les quatre mondes et les quatre puissances intériorisées en l’homme. La forme de la cité ne va pas sans rappeler le mandala, symbole du Soi.

Los pleura par excès de joie et tous pleurèrent ensembles !
Ils craignirent de ne jamais revoir leur Père, qui
Etait séparé de l’Eternité, dans les collines d’Albion.
Mais quand, après de chaleureuses embrassades, la joie de la rencontre s’estompa,
A nouveau ils déplorèrent: « Ô ! Que nous est-il possible de faire pour l’adorable Jérusalem,
Pour détourner les Emanations des fils d’Albion de la cruauté?(...)
Que pouvons-nous faire pour toi Ô douce Jérusalem ? »

(p651) Et Los dit: « Je contemple avec terreur le doigt de Dieu.
Albion est mort; ses émanations* se séparent de lui,
Mais je sens que je suis en vie, pourtant je sens mes émanations qui se séparent de moi.
(...)Toutefois, pourquoi désespérer? J’ai vu le doigt de Dieu s’avancer
Sur mes Fourneaux, depuis l’intérieur des Roues des fils d’Albion,
Rendant leurs Systèmes permanents par le pouvoir mathématique,
Donnant un corps à la fausseté pour qu’elle puisse être rejeté pour toujours,
Avec la Science Démonstrative perçant Apollon de son propre arc.
Dieu est à l’intérieur et à l’extérieur; il est même dans les profondeurs de l’enfer. »

Telles étaient les lamentations des Travailleurs dans les fourneaux.(...)
Et ils construirent Golgonooza, terrible éternel labeur.

Que font ces bâtisseurs d’or ? Voici que
Les pierres sont faites de pitié et les briques de sentiments bien forgés,
Emaillées d’amour et de bienveillance, et les tuiles gravées d’or,
Travail de gracieuses mains. Les poutres et les chevrons sont faits de pardon;
Le mortier et le ciment sont faits du travail et des larmes de l’honnêteté; les clous
Et les écrous et les attaches de fer, d’une tendresse bien forgée,
Et les mots bien conçus, solides fixations, jamais oubliés,
Réconfortent toujours le souvenir; le sol, est fait d'humilité,
Le plafond, avec la dévotion; les cheminées, par les action de grâce.
Les rideaux, tissés de pleurs et de soupirs, forgés en des formes adorables
Pour le confort. Ici le secret mobilier de la chambre de Jérusalem
Est forgé. Lambeth ! La Fiancée, l’Epouse de l’Agneau, t’aime.
Tu ne fais qu’un avec Elle, et tu t’oublies toi-même source de ta plus profonde joie.
Allez-y, bâtisseurs, avec espoir, même si Jérusalem erre au loin
Sans la porte de Los, parmi les roues Sataniques !

Quadruples sont les fils de Los dans leurs divisions. Et quadruple
La grande cité de Golgonooza: quadruple vers le nord
Et vers le sud quadruple, et quadruple à travers l’est et l’ouest,
L’une dans l’autre à travers les quatre points cardinaux - celle en direction de
L’Eden*, et celle en direction du monde de la génération,
Et celle en direction de Beulah*, et celle en direction d’Ulro*.
(Ulro est l’espace des terribles roues étoilées des fils d’Albion.)
Mais celle en direction de l’Eden est close jusqu’au temps de la rénovation;
Pourtant elle est parfaite dans sa construction, dans ses ornements et ses réalisations.

Et les quatre points cardinaux sont ainsi contemplés dans la grande Eternité*.
Ils sont les quatre visages en direction des quatre mondes de l’humanité
En chaque homme; Ezekiel (Ezéchial en français ) les vit vers les eaux du Chebar[Associati1] .
Et les yeux sont le sud, et les narines sont l’est,
Et la langue est l’ouest, et les oreilles sont le nord.

Et la porte nord de Golgonooza vers Génération
Possède quatre terribles taureaux sculptés, devant la porte de fer,
Des taureaux de fer. Et celle qui regarde vers Ulro,
En terre cuite émaillée, rougeoyant éternellement comme quatre fourneaux,
Tournant sur les roues des fils d’Albion avec un monstrueux pouvoir.

Et celle vers Beulah quatre - d’or, d’argent, de bronze et de fer.
Et celle vers Eden quatre, formée d’or, d’argent, de bronze et de fer.
La quadruple porte de l’ouest est fermée, ayant quatre chérubins
Comme gardes, vivants, travail des mains primordiales (laborieuse tâche!)
Comme des hermaphrodites, chacun doté de huit ailes.
Celui vers Génération, de fer; celui vers Beulah, de pierre;
Celui vers Ulro, d’argile, celui vers Eden, de métal.
Mais toutes portes fermées jusqu’au jour du Jugement, quand les tombes délivreront leurs morts.

La quadruple porte de l’est, terrible et mortelle en ces ornements,
Prenant leur formes depuis les roues des fils d’Albion, comme des dents
Sont formées sur une roue pour s’ajuster aux dents d’une roue averse.(...)

Et chaque partie de la citée est quadruple, et chaque habitant quadruple.
Et chaque marmite et chaque vase et chaque vêtement et chaque ustensiles des maisons
Et chaque maison, quadruple; mais la troisième porte en chacun
Est close comme par un triple rideau d’ivoire, de fine toile et d’hermine.

Et soixante-quatre mille génies gardent la porte de l’est;
Et soixante-quatre mille gnomes gardent la porte du nord;
Et soixante-quatre mille nymphes gardent la porte de l’ouest;
Et soixante-quatre mille fées gardent la porte du sud.

Autour de Golgonooza s’étend le pays de la mort éternelle, une terre
De douleur, de misère et de désespoir, en proie éternelle et ruminante mélancolie.
[Associati2]
Depuis la Coquille bleue du Monde, jusqu’à la Terre Végétative.
L’Univers Végétatif s’ouvre comme une fleur depuis le centre de la Terre :
Dans lequel est l’Eternité.
Celui-ci se répand en étoile jusqu’à la Coquille du Monde,
Et là il rencontre à nouveau l’Eternité, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur.

Et les Vides abstraits entre chaque Etoile sont de Sataniques engrenages,
(mais tout ce qui est visible à l’homme Généré
Est une création de miséricorde et d’amour, depuis le Vide Satanique.)
Le pays d’obscurité flambait, mais sans lumière ni repos ;
Le pays des neiges, des tremblements, était secoué de grêles incessantes ;
Le pays des tremblements de terre et des labyrinthes entrelacés ;
Le pays des ruses et des pièges et des engrenages et des trappes et des affreuses usines ;
Les Vides, les Solides, le pays de brumes et les régions d’eau ;
Le pharisaïsme s'assemblant tous contre la Vision Divine ;
Une Terre Concave, merveilleuse, impénétrable, Abyssale, Incohérente,
Formant la Coquille du Monde, environnant Golgonoza au dessus, au dessous, de tout côté.
Los marche autour des murs de la cité nuit et jour.
Il regarde la Cité de Golgonooza, et ses plus petites citées,
Et tout ce qui a existé dans l’espace de six milles ans,
Permanent et non perdu, ni perdu ni disparu ; et chaque petit acte,
Parole, production où prière ayant existé, tout y est encore,
Abscons à ceux qui ne demeurent pas en eux, simple possibilités,
Mais à ceux qui entrent en eux ils apparaissent comme les seules substances.
Car toute chose existe, et ni un soupir ni un sourire ni une larme,
Un cheveux où une particule de poussière, d’aucun ne peut disparaître.
Toutes les choses s’étant passées sur Terre sont vues dans les claires Sculptures des
Couloirs de Los, et chaque Age régénère ses pouvoirs à travers ces Œuvres
Toutes les histoires pathétiques possibles, depuis la haine jusqu’à l’amour entêté ; et toutes les peines et les détresses sont sculptées ici ;
Toute Affinité Parentale, Maritale, ou Amicale sont là,
Dans toutes leurs diverses combinaisons, façonnées d’un Art merveilleux,
Tout ce qui peut arriver à l’homme dans son pèlerinage de soixante-dix ans.
Telle est la divine loi écrite d’Horeb et de Sinaï,
Et tels sont les Saintes Evangiles des Monts Oliviers et Calvary.

[Associati1]Référence à la vision du prophète dans livre d’Ezekiel, I,1

[Associati2] Il s’agit des labyrinthes de sottise et d’erreur qui entoure le monde mortel. Ils se manifestent le plus dans les religions organisées..